dimanche 2 janvier 2000

Pourquoi l’Administration n’applique-t-elle pas la loi sur la mention “Mort en déportation” ?

Le 15 mai 1985, le président de la République française promulguait la loi 85-528 qui stipule que pour toute personne déportée et décédée durant la Seconde Guerre mondiale, la mention « mort en déportation » est portée sur l’acte de décès.

Prévue à l’évidence dans le but d’assurer définitivement dans les actes d’état civil la mémoire des exterminations conduites durant la guerre, cette démarche peut être effectuée sur demande individuelle d’un ayant droit du défunt, mais surtout de façon systématique par le ministre délégué aux Anciens Combattants.

Le ministère des Anciens Combattants estime que 115 500 personnes sont mortes en déportation. Il est clair que la rectification individuelle de chacun des actes de décès est un travail long et minutieux. Ceci n’explique pourtant pas qu’à ce jour (janvier 2007) seules 50 168 personnes ont pu effectivement bénéficier de l’attribution de la mention « mort en déportation », soit à peine près de 30 %.

OEuvrant depuis plusieurs années pour entretenir la mémoire des déportés, dans le cadre de travaux généalogiques et historiques (notamment un ouvrage en six volumes concernant le convoi numéro 73, de juifs déportés de France), Eve Line Blum-Cherchevsky a attiré l’attention de nombreux élus, députés et sénateurs, sur l’anomalie que constitue cette application particulièrement incomplète de la loi.

Également saisi, le médiateur de la République est intervenu pour connaître les raisons de cette situation et tenter d’y trouver une solution. Depuis cinq ans, diverses réponses se sont succédé, faisant état, au mieux « de la complexité de la tâche », au pire « de l’indisponibilité de la personne chargée de signer les documents nécessaires », documents en attente depuis plusieurs mois…

Alors qu’il n’avait fallu que quelques mois aux autorités d’occupation, au début de la Seconde Guerre mondiale, pour établir manuellement des fichiers complets sur les personnes visées par la déportation, il semble incroyable qu’après vingt et un ans l’Administration française n’ait pu régulariser qu’un tiers des actes de décès des mêmes personnes.

Mais cette anomalie en cache une autre, plus inquiétante : parmi les personnes disparues en déportation, un grand nombre n’ont même jamais été déclarées décédées. Il n’est donc plus question de rectifier leur acte de décès, mais bien de commencer par l’établir. C’est ainsi qu’une analyse des rectifications effectuées depuis 1985 en indique, par exemple, 500 seulement concernant des enfants de moins de sept ans, tandis que sur les 11 400 enfants juifs déportés de France 3 331 d’entre eux étaient nés entre 1935 et 1944.

En dehors de toute considération indéniable, éthique ou autre, dans le contexte politique et social actuel, et alors que les révisionnistes et négationnistes de toutes origines trouvent de plus en plus d’audience, il devient urgent de mener à son terme le travail prévu par la loi du 15 mai 1985.

Faut-il attendre, pour réagir, qu’un « chercheur » zélé analyse les mentions « mort en déportation » et « démontre » que leur nombre réduit « prouve que la déportation n’était bien qu’un détail de l’histoire » ? La situation actuelle ne risque-t-elle pas de faire peser sur l’administration le soupçon de complicité envers le négationnisme ?

Si vous aussi vous souhaitez voir enfin appliquée la loi de 1985, n’hésitez pas à diffuser ce document autour de vous, aux responsables politiques, aux médias, etc.

Contact :
Eve Line Blum-Cherchevsky
Courriel : eve.line.blum[à]gmail.com

samedi 1 janvier 2000

Lettre à N.Sarkozy, à propos de l'Etat-Civil des non-mentionnés "morts en déportation"

monsieur le prÉsident de la rÉpublique
Palais de l’Elysée
55 rue du Fg Saint-Honoré
75008 Paris

Objet : la Shoah au CM2 dans les écoles

Besançon, le 14 février 2008


Monsieur le Président de la République,

Une dépêche de l’AFP, relayée par un certain nombre de médias, m’a appris que lors du dîner annuel organisé récemment par le CRIF, vous avez annoncé que chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se verront confier la mémoire d'un des 11 200 enfants français victimes de la Shoah.

Tout d’abord, permettez-moi d’apporter une rectification aux termes de la dépêche en question : il ne s’agit pas de « 11 000 enfants français victimes de la Shoah », mais de 11 200 enfants juifs, de nationalités diverses, déportés de France, ce qui est un peu différent.

Puisqu’il s’agit des enfants juifs déportés de France, permettez-moi, Monsieur le Président de la République, après m’être présentée brièvement, de vous adresser ces quelques lignes qui les concernent directement.

Je suis née à Paris en 1932, de parents français. J’ai six enfants et suis grand-mère de quinze petits-enfants. Mes parents ont été déportés en 1943 et 1944 et ne sont pas rentrés des camps nazis.

Depuis six ans, m’étant beaucoup investie dans divers travaux concernant la mémoire des déportés, j’ai été amenée à m’intéresser plus particulièrement au dossier des actes de décès des personnes non rentrées de déportation.

Je tiens à vous rappeler qu’à ce jour, moins de la moitié des 115 500 personnes disparues en déportation (toutes déportations confondues, déportation dite « raciale » et déportation dite « de répression ») ont fait l’objet d’un acte de décès, seul document officiel, en France, qui justifie du décès d’un citoyen. Par conséquent, aux yeux de la loi et du Code civil, toutes les autres personnes sont considérées comme toujours vivantes, quelles que soient les stèles, plaques du souvenir, commémorations, etc. qui existent.

En ce qui concerne plus particulièrement les 11 200 enfants, le pourcentage navrant confirmant la remarque ci-dessus est le même. Depuis des années, les réponses ministérielles que j’ai obtenues ont toujours fait état de la nécessité d’étudier minutieusement chaque dossier pour savoir si chaque personne avait bien droit à la mention « Mort en déportation » sur son acte de décès (lorsque celui-ci existe…). Soit.

Mais dans le cas des enfants, je ne pense pas qu’ils aient choisi d’aller travailler dans le cadre du STO… et il me semble que ce dossier-là au moins, celui des enfants, aurait dû être traité en priorité depuis quelques décennies.

À la fin du mois de janvier dernier, une stèle a été inaugurée à Paris (XVIIIe arrondissement) à la mémoire de « 90 tout-petits », c’est-à-dire des enfants de moins de six ans demeurant dans ce quartier. Vérification faite, 55 d’entre eux n’ont jamais fait l’objet d’un acte de décès. Ils ne sont donc pas morts, officiellement parlant. Ne pensez-vous pas que cette situation est quelque peu scandaleuse, soixante-trois ans après la fin de la guerre, et vingt-trois ans après la promulgation de la loi Badinter du 15 mai 1985 ?

Parmi les enfants dont le nom figure sur cette plaque, on relève celui d’André BLUMBERG. Il est né à Drancy, pendant l’internement de ses parents, le 17 juillet 1944. Il a été déporté à Auschwitz le 31 juillet suivant. Il est donc parmi les plus jeunes enfants juifs déportés de France, sinon le plus jeune. Alors que ce bébé a terminé sa courte existence dans des conditions que je préfère ne pas imaginer, il m’a fallu trois ans de démarches pour obtenir enfin, (en août dernier) que son acte de décès soit rectifié et rédigé décemment, en conformité avec le texte de la loi précité, sans laisser croire qu’il est mort dans son berceau, chez ses parents, comme le laissait entendre implicitement la rédaction du jugement déclaratif de son décès.

Il ne m’appartient pas de discuter du bien-fondé de votre initiative qui s’adresse aux élèves des classes de CM2 des écoles françaises. Je rappellerai tout d’abord que cette idée existe déjà depuis plusieurs années au sein de la communauté juive en Israël et aux États-Unis, dans le cadre d’un programme spécial s’adressant aux enfants qui préparent leur Bar-Mitzvah, à qui l’on offre une sorte de « jumelage » avec un enfant juif du même âge, à la mémoire duquel est dédiée leur Bar-Mitzva, en quelque sorte. Lorsqu’il existe une famille survivante, les échanges de courrier sont très émouvants.

D’autre part, il me semble que le dossier des actes de décès des personnes disparues en déportation, et plus particulièrement celui des 11 200 enfants juifs, devrait être traité avant de demander à des enfants des classes de CM2 de choisir un enfant juif pour rappeler sa mémoire, dans une liste d’enfants qui, aux yeux de la loi du pays que vous représentez, sont toujours en vie, en raison de la carence quelque peu scandaleuse des services administratifs français concernés, quels qu’ils soient.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très grande considération.


Eve Line Blum-Cherchevsky
Responsable de l’ouvrage « Nous sommes 900 Français »
dédié aux déportés du convoi 73


Pourquoi les pays baltes ?

A compléter