jeudi 22 janvier 2009

Les 44 enfants d’IZIEU et leurs six éducateurs

Actes de décès des 44 enfants d’IZIEU et de leurs six éducateurs et éducatrices

1987

Le procès de Klaus Barbie s'est déroulé du 11 mai au 4 juillet 1987 devant la Cour d'Assises du département du Rhône, au Palais de Justice de Lyon. C'était la première fois en France que l'on jugeait un homme accusé de crime contre l'humanité. Les charges retenues contre Barbie concernaient trois faits distincts :
• La rafle opérée à Lyon le 9 février 1943 à l'Union Générale des Israélites de France (UGIF) rue Sainte-Catherine
• La rafle des enfants d’Izieu du 6 avril 1944
• La déportation de plus de 600 personnes dans le convoi du 11 août 1944

Au terme de huit semaines d'audience, Barbie a été condamné le 4 juillet 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité. C’est dire l’importance de la rafle des enfants d’Izieu, l’un des trois faits retenus pour condamner ce criminel de guerre.

Le décès des 44 enfants d’Izieu et des six éducateurs et éducatrices qui ont trouvé la mort en même temps qu’eux apparaissait donc ipso facto comme indiscutablement certain. En conséquence, on était en droit de s’attendre à ce que leurs actes de décès soient établis sans délai.

Vérification faite, il s’avéra qu’à cette époque (4 juillet 1987), l’acte de décès d’un seul enfant d’Izieu avait été publié au Journal Officiel !!! Trois autres avaient fait l’objet d’un arrêté signé le 2 juin 1987, mais ne furent publiés que dans le Journal Officiel du 6 août 1987, soit un mois après la condamnation de Klaus Barbie.
Par la suite, 2 arrêtés ministériels furent publiés en 1993, 6 en 1994, 3 en 2006. Soit un total de 15 actes de décès, alors que 44 enfants avaient été envoyés à la mort par Klaus Barbie. (voir tableau, annexe n° 33)


Le 23 avril 2007, dans un courrier adressé à un sénateur sympathique qui avait relayé mes revendications, après avoir présenté divers arguments qui ne semblent pas s’appliquer au cas des enfants d’Izieu (leur décès en déportation ne faisant aucun doute depuis le procès Barbie) M. Hamlaoui MEKACHERA, ministre délégué aux Anciens Combattants, écrivait :
« Un premier examen des dossiers des enfants de la « Maison d’Izieu » et de leurs accompagnateurs, cités par Madame BLUM-CHERCHEVSKY, a déjà été effectué par le bureau des archives des victimes des conflits contemporains du Service historique de la défense. Le nom de certains de ces enfants a déjà figuré dans le texte d’arrêtés ministériels antérieurs, d’autres vont figurer dans le texte d’un prochain arrêté à paraître au Journal officiel de la République française ».

(voir annexe n° 34)

On notera tout d’abord l’humour (noir) involontaire de Monsieur MEKACHERA, lorsqu’il écrit, 62 ans après la fin de la guerre, qu’ « un premier examen » […] « a déjà été effectué ».

À la date de cette lettre, effectivement, quinze dossiers d’enfants de la Maison d’Izieu avaient été régularisés. Cependant, il n’y eut aucun « prochain arrêté » pendant trois ans…

Je continuai donc mes démarches et mes appels auprès de personnalités diverses pour tenter de faire aboutir mes revendications, afin que la totalité des 44 enfants victimes de Klaus Barbie soient enfin reconnus « morts en déportation » cinq jours après le départ de leur convoi (convois n° 71, 73, 74 ou 75 selon les uns ou les autres).

Dans une réponse qui me fut adressée le 19 février 2009, M. Michel SUCHOD, Directeur du cabinet du Secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens Combattants, précisait :

« Le dossier des enfants d'Izieu, qui pose effectivement un certain nombre de questions au regard de l'application des dispositions de la loi du 15 mai 1985, fait l'objet d'un examen attentif ».

(voir annexe n° 35)

Le dossier de ces enfants ayant été utilisé en 1987 pour confondre l’infâme Barbie, sans que personne ne discute le bien fondé de cette démarche, on ne comprend pas quel examen attentif était toujours nécessaire, deux ans après la réponse de M. MEKACHERA, et quel était ce « certain nombre de questions » qui se posaient, vingt-deux ans après la sentence condamnant Barbie, faisant obstacle à l’établissement des actes de décès de ces petites victimes !!!

Mes interventions auprès de personnalités diverses et variées finirent par aboutir et j’eus enfin la satisfaction de lire un arrêté ministériel signé le 16 décembre 2009, et publié trois mois plus tard au Journal Officiel du 12 mars 2010, concernant les 29 enfants d’Izieu dont le ministère avait enfin réussi à admettre la mort en déportation à Auschwitz, soixante-six ans (à quelques jours près) après leur arrestation à Izieu.

Cependant, en vérifiant un à un le nom des 29 enfants inscrits dans cet arrêté ministériel, j’y lus aussi celui de quatre éducateurs et éducatrices qui les avaient accompagnés jusqu’au bout de leur calvaire. Ils étaient sept, au départ de Drancy, mais une seule éducatrice avait survécu. Il manquait donc encore les actes de décès de deux éducatrices.

2010


Je commençai par écrire aux bureaux ministériels de CAEN (ONAC) en leur demandant de bien vouloir établir ces deux actes de décès. Je reçus cette réponse laconique, datée du 27 avril 2010 :

« Par courrier du 5 avril 2010, vous avez demandé la régularisation de l’état civil de Lucie Feiger et Mina Friedler, déportées de la Maison d’Enfance d’Izieu (Ain).

« Je suis au regret de vous faire connaître que malgré des enquêtes diligentées vers différents services administratifs, il n’a pas été possible de réunir les documents d’état civil de naissance et de mariage nécessaires à la rédaction de ces actes par l’Officier d’état civil de la direction générale de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, conformément aux dispositions de l’article 79 du code Civil. »

(voir annexe n° 36)

Je remarquai tout d’abord que mon interlocuteur ne connaissait pas l’article 79 du code Civil, ou bien tentait de m’abuser. Car sa teneur exacte et complète est celle-ci :

L'acte de décès énoncera :
1° Le jour, l'heure et le lieu de décès ;
2° Les prénoms, nom, date et lieu de naissance, profession et domicile de la personne décédée ;
3° Les prénoms, noms, professions et domiciles de ses père et mère ;
4° Les prénoms et nom de l'autre époux, si la personne décédée était mariée, veuve ou divorcée ;
5° Les prénoms, nom, âge, profession et domicile du déclarant et, s'il y a lieu, son degré de parenté avec la personne décédée.
Le tout, autant qu'on pourra le savoir.
Il sera fait mention du décès en marge de l'acte de naissance de la personne décédée.

La mention « Le tout autant qu’on pourra le savoir » est dépourvue de toute ambiguïté et ne nécessite aucun commentaire superflu.
Je ne pus m’occuper de ce dossier immédiatement, mais dès le 10 mai 2010, je m’adressai, par courrier électronique, à un service d’archives belge qui m’avait déjà renseignée dans un autre dossier, sachant qu’en 1944 Mina Friedler venait de Belgique avec sa fille Lucienne (déportée également) :

Le 10 mai 2010 01:48, Eve Line Blum a écrit :
« Madame,

Je fais actuellement une recherche concernant deux personnes, une mère et sa fillette, qui ont été déportées de France en avril 1944, dans la rafle des enfants d'Izieu.

L'enfant s'appelait Lucienne FRIEDLER, née à ANVERS le 18 février 1939.

Sa mère s'appelait Marie FRIEDLER (dite "Mina"). Elle était éducatrice à la maison des enfants d'IZIEU et elle venait probablement de Belgique puisque sa fille y était née en 1939. Les renseignements que j'ai obtenus concernant Marie (Mina) FRIEDLER sont contradictoires et je n'arrive pas à savoir où elle est née. Elle serait née le 22 février 1912, soit en France, soit en Pologne, soit à TURKU (Finlande)...

Y a-t-il une possibilité d'en savoir plus sur Lucienne FRIEDLER et sa mère ? Peut-être l'acte de naissance de l'enfant comporte-t-il le nom et la date de naissance de sa mère, comme c'est le cas pour les actes de naissance en France ? »

Je reçus la réponse avec une célérité que notre administration française ignore :

à eve.line.blum@gmail.com
date 10 mai 2010 15:33
objet votre demande de recherches

La pièce jointe à ce courrier commençait ainsi :
« Madame,
Suite à votre e-mail de ce jour, dans lequel vous nous avez demandé des renseignements concernant Lucienne et Marie Friedler, nous avons l’honneur de vous communiquer les données suivantes […]. »

Ces données étaient extrêmement complètes et précises. Mon correspondant terminait sa lettre en me conseillant de m’adresser aux Archives Générales du Royaume pour obtenir des informations complémentaires.

(voir annexe n° 37)

J’écrivis à l’adresse indiquée, et quelques jours plus tard, je reçus une liasse de 35 documents variés, concernant Marie Friedler, son mari (survivant) et leur fille. Certes, il n’y avait aucun acte d’état civil proprement dit mais un ensemble d’informations largement suffisantes pour attester de l’identité de Marie Friedler et de sa situation familiale.

À qui fera-t-on croire que l’Office National des Anciens Combattants, travaillant de concert avec le Ministère de la Défense et des Anciens Combattants, n’avait pu, « malgré des enquêtes diligentées vers différents services administratifs », « réunir les documents d’état civil de naissance et de mariage nécessaires à la rédaction de ces actes », malgré toutes les prérogatives et les privilèges dont disposent les ministères français, tandis que moi, vulgum pecus insignifiante, du fond de ma province, assise devant mon ordinateur, j’avais obtenu – dans un premier temps – en l’espace de quelques heures, les informations complètes nécessaires, corroborées rapidement par trente-cinq documents supplémentaires ? Quoi qu’il en soit, j’envoyai ces documents à l’ONAC le 5 juillet 2010.

Il me restait encore à trouver l’acte de naissance de la seconde éducatrice dont l’acte de décès restait à établir. Après m’être renseignée auprès d’une association de généalogie, j’écrivis directement à sa mairie de naissance, en Pologne. En quelques jours, je reçus une copie de la page du registre d’état civil sur laquelle cette naissance avait été enregistrée : ce registre avait été conservé dans les archives de la synagogue de cette ville. Le ministère français n’aurait-il pas pu obtenir le même résultat, sans doute dans un délai encore plus rapide que moi ?...

N’ayant pas reçu de réponse à ma lettre du 5 juillet, j’envoyai néanmoins copie de ce document à l’ONAC le 7 septembre 2010 et, cette fois, j’alertai à nouveau un certain nombre de personnalités susceptibles, éventuellement, d’appuyer ma demande. J’ignore si des interventions eurent lieu ; toujours est-il que je reçus une réponse de l’ONAC datée du 18 novembre 2010, par conséquent dans un délai, somme toute, plutôt rapide, me faisant savoir « que les actes de décès relatifs à ces deux personnes vont être établis par mes services » et que « leur nom figurera dans un prochain arrêté publié au Journal Officiel ».

(voir annexe n° 38)

Concernant ce dossier d’Izieu, il reste encore à régulariser l’acte de décès de Miron ZLATIN, directeur de cette maison d’enfants, arrêté en même temps que les enfants mais déporté avec deux des adolescents par le convoi 73, le 15 mai 1944, vers les pays Baltes : son acte de décès, rectifié une première fois par arrêté ministériel du 6 mars 1992, indique qu’il est décédé à Kaunas Reval (Lettonie). « Kaunas Reval » est une absurdité, et « Lettonie » en est une autre puisque Kaunas se trouve en Lituanie et Reval en Estonie. En réalité, selon le témoignage d’un survivant, dûment enregistré le 4 septembre 1946 au ministère de l’Intérieur, Miron Zlatin est décédé à Reval (Estonie) « à la fin du mois de juillet 1944.